Méditer tous les jours, mieux manger, faire plus de sport: mener une vie saine est à la mode, promesse d’un bonheur devenu obligatoire. Ces exhortations sont en réalité souvent culpabilisantes et parfois mêmes contre-productives. Comment échapper au syndrôme du bien-être à tout prix?
Se lever à 5h du matin pour avoir le temps de méditer, courir trente minutes par jour minimum, bannir tout ce qui ressemble de près ou de loin à du gluten, faire l’amour, oui, mais en pleine conscience, arrêter de fumer bien évidemment, mais aussi de boire et ne pas oublier de faire nettoyer son colon pour que le corps soit propre d’un bout à l’autre… Si tout le monde ne se plie pas à ces injonctions dont nous avons -un peu- forcé le trait, il est aisé de constater que ces dernières se multiplient depuis quelques années.
Plus qu’une mode, le bien-être devient peu à peu une norme, une quête quotidienne et scrupuleuse, au point d’aller à l’encontre de son fondement même, celui d’un état avant tout expérimenté individuellement et dont la perception varie en fonction des individus. Quoi de plus contradictoire en effet que le bonheur imposé?
Du bien-être à la culpabilité
« Je reçois de plus en plus souvent de patient(e)s qui se découvrent une intolérance au gluten et qui, alors qu’ils ne vont pas si mal, culpabilisent de ne pas méditer tous les jours », observe Violaine Gelly, psychothérapeute.
« En soi, je n’ai rien contre la pleine conscience, le tantrisme ou le fait de se mettre à la course à pied. C’est la culpabilité que cela semble générer chez ceux qui ne s’y adonnent pas qui me pose problème », poursuit-elle.
« Prenons l’exemple du lever à l’aube vanté actuellement dans bon nombre de magazines. Cette pratique me semble emblématique d’une dérive. Il n’y a rien de plus personnel que les rythmes du sommeil. Certains se sentent dans une forme olympique en se levant tôt, d’autres ont besoin de dormir davantage ou sont plutôt du soir. »
« Ils risquent de se retrouver au bord de l’épuisement ou d’une humeur de chien en émergeant aux aurores. A terme, ils peuvent perturber un équilibre qui leur convenait pour se plier à des injonctions sociétales, de peur de passer pour des paresseux. »
« Je m’étais convaincue que c’était bon pour moi »
« A force de lire des articles sur les bienfaits du running et de voir sur ma page Facebook les exploits de mes ‘amis’, j’ai décidé de m’y mettre », rebondit Béatrice, 44 ans. »Certes, j’avais un peu de cellulite et un léger embonpoint, mais rien de catastrophique non plus. Résultat des courses, des douleurs sciatiques permanentes et un genou en vrac. »
« J’ai pourtant continué à m’acharner, alors même que je n’y prenais aucun plaisir. Je m’étais convaincue que c’était bon pour moi, puisque tout le monde le disait. J’éprouvais une espèce de fierté à tester mes limites. Jusqu’à ce que mon médecin m’interdise de courir et m’invite à reprendre comme avant, à savoir marcher régulièrement, ce qui convient bien mieux à mon organisme. J’ai rangé au placard mes chaussures flambant neuves, mon brassard pour téléphone et ma montre connectée. Au final, cette petite plaisanterie m’a coûté un ménisque et pas mal d’argent! »
Derrière chaque injonction, un appel à la consommation
« Oui, le bien-être coûte souvent cher, confirme Violaine Gelly. La société s’est saisie d’une aspiration individuelle légitime, celle de se sentir mieux, pour en faire un business. Derrière chaque injonction, il y a un appel à la consommation. Il faut télécharger une nouvelle appli miraculeuse, se procurer des jus d’herbe hors de prix, participer à des séminaires qui vous promettent la sérénité et acheter des livres censés vous apporter le bonheur », énumère la psychothérapeute.
« J’y vois également une volonté de contrôle permanent, de son corps, de sa santé, de sa jeunesse. En suivant à la lettre tous les conseils censés nous faire aller mieux, on fantasme une vieillesse sous contrôle, sans souffrance. Avec bien sûr, en corollaire, la culpabilisation de ceux qui ne se prêtent pas au jeu et qui seront considérés comme responsables de leurs éventuelles maladies. »
« On nous invite à lâcher prise tout en nous encourageant à multiplier les performances. Il faudrait faire tant de pas par jour, ingérer un nombre précis de calories, etc. Or il n’y a rien de plus antinomique que bien-être et obsession du résultat », martèle Violaine Gelly.
Accepter ses limites
Un point de vue partagé par Carl Cederström et André Spicer, auteurs du Syndrôme du bien-être, (éd. L’Echappée), paru en mars dernier. Les deux chercheurs suédois y démontent les rouages du culte du corps et de la quête désespérée de la santé parfaite.
« La pression toujours présente afin de maximiser notre bien-être a déjà commencé à travailler contre nous. Nous nous sentons de plus en plus mal et nous nous replions sur nous-mêmes », préviennent-ils. Et de rappeler que « vivre c’est faire l’expérience de la douleur et de l’échec. »
« Bien sûr qu’il est légitime et naturel de vouloir se sentir bien, modère Violaine Gelly. Pour certains, cet objectif passe par de l’exercice physique, de la méditation et une alimentation saine. Si l’on est obsessionnel, au point, en outre, de devenir prosélyte, alors on bascule dans un processus qui peut devenir dangereux. On nous encourage sans cesse à dépasser nos limites. Elles sont pourtant là pour une bonne raison: elles parlent de nous, il faut aussi les écouter et parfois les accepter. »
Il faudrait surtout, estime encore Violaine Gelly, « revenir à ce qui nous apporte du plaisir et de la satisfaction ». « C’est la question que je pose à chaque patient venu me faire part de sa culpabilité de ne pas réussir à se conformer à cette norme: ‘et vous, vous en pensez quoi? Où vous situez-vous là dedans?’ Le bien-être est singulier, il ne peut pas être une affaire collective. Alors, oui, bien sûr, à chacun de tester ce qui lui convient, mais à chacun aussi de décider ce qui ne lui va pas. »
« Je prends ce qui me conviens et je jette le reste »
« Lorsque la vision du bien-être de certains de mes amis passe par leur bracelet connecté qui leur dit s’ils ont bien dormi, assez bougé et parfaitement mangé, je m’interroge sur mes propres choix. Je leur réponds qu’il y a deux façons de vivre le bien-être: la leur… et la mienne! Je mange trop, je rit trop, je crie trop, je ne médite pas et je me sens terriblement bien et tellement vivante avec mes excès », revendique Anne.
Cécile, quant à elle, a beaucoup culpabilisé. « J’ai longtemps pensé que si je me sentais mal, même après avoir lu un super bouquin de développement personnel, c’était parce que je n’avais pas suivi à la lettre les multiples exercices. J’estimais donc que c’était de ma faute », se souvient-elle.
Elle a depuis décidé de prendre ce qui l’intéressait et de « jeter » ce qui ne lui allait pas. « Je crois aussi qu’il y a un temps pour tout. Si je n’y arrive pas, c’est simplement que ce n’est pas le bon moment. Je me dis que je ferai sûrement plus de choses sereinement et avec envie quand mes enfants seront plus grands. En revanche, la pratique de la méditation m’a beaucoup aidée et me sert encore aujourd’hui. En somme, le bien-être, oui, mais ‘si je veux, et comme je veux' », conclut Cécile.
Par Caroline Franc Desages,
source: https://www.lexpress.fr